Texte paru en partie dans le Dictionnaire Encyclopedique de la Justice Pénale Internationale *

Le cinéma n’a pas attendu l’apparition du droit pénal international pour utiliser la justice comme élément dramatique. Les thèmes liés à la justice existaient à travers les policiers, les récits de procès et les mises en scène de crimes multiples, y compris des crimes contre l’humanité. Le cinéma n’a jamais été rebuté par les massacres. Bien au contraire, ils ont souvent fait partie de la dramaturgie, voire du décor. Aujourd’hui les seuls massacres gratuits appartiennent aux films de science fiction et les victimes ne sont plus humaines. Ce sont des trolls, des morts vivants, des robots malfaisants et autres créatures nées des feux de l’enfer.

Hier tuer des Indiens d’Amérique faisait parti du décor du western et tuer des Africains tenait de l’aventure coloniale. Aujourd’hui un crime ou un massacre doit être légitimé et il apparaît généralement à l’écran pour y être dénoncé. En un demi siècle une prise de conscience a suffisamment changé le goût du public pour qu’il n’accepte plus le spectacle de la mort des plus faibles. Ce changement est naturellement parallèle à la prise de conscience qui a permis au droit pénal international d’évoluer. Le cinéma est un miroir de nos sociétés.

Comment la justice pénale internationale est-elle apparue ? Comment a-t-elle évolué dans la fiction de cinéma ? Comment certains genres cinématographiques se sont-ils adaptés pour satisfaire à ses nouveaux principes moraux ?

Voilà les trois questions auxquelles nous tentons de répondre ici.

Apparition de la Justice Pénale Internationale au cinéma

« None Shall Escape »

L’idée d’une justice pénale supra nationale apparaît pendant la seconde guerre mondiale dans le film :

« None Shall Escape » ( A. de Toth, 1944 ).

Le film s’ouvre sur une salle de tribunal. Si le statut de ce tribunal et sa composition ne sont pas explicitement établis, les figurants assis à la place des juges ne laissent aucun doute sur son internationalité. Le scénario retrace le procès d’un criminel de guerre nazi dans l’immédiat après guerre.

Instituteur allemand dans une petite ville frontière polonaise, Wilhelm Grimm ( Alexander Knox ) revient blessé et vaincu de la première guerre mondiale. Son amertume, son désir de vengeance provoque l’aversion de celle qui l’aimait et qui l’a attendu pendant quatre ans. Victime de la guerre, il devient bourreau de ses élèves, enchaine violences physiques et agressions sexuelles jusqu’au suicide d’une petite fille. Il doit fuir. À travers des témoins proches, son frère qu’il a envoyé en camp de concentration, son neveu qu’il enrôle dans le parti nazi, son ex fiancée polonaise et le curé du village, nous suivons sa radicalisation dans le national socialisme puis son ascension au sein des SS jusqu’à son retour comme commandant de la province polonaise conquise où il retrouve ceux qu’il a quittés vingt ans plus tôt. Les événements s’enchaînent alors dans une inévitable montée dramatique où se mêlent fanatisme et vengeance jusqu’au massacre des juifs de la bourgade au moment de leur déportation et à l’assassinat de la fille de son ex fiancée polonaise par des collègues SS.

Le personnage central est résolument Wilhelm Grimm, le bourreau dont André de Toth dresse un portrait fin, détaillé et documenté, un angle original mis au service de convictions.

En 1939, alors qu’André de Toth ( réalisateur d’origine hongroise ) tourne une fiction en Pologne, sa société de production lui demande de filmer l’invasion du pays par les Allemands pour les actualités. Il est donc aux premières loges pour voir la barbarie de l’envahisseur et utilise ce qu’il a vu dans « None Shall Escape » quatre ans plus tard. Lester Cole, scénariste du film est militant communiste et sera victime du maccarthysme comme les deux comédiens principaux Alexander Knox et Marsha Hunt. Écrit entre 1942 et 1943, « None Shall Escape »est un film politiquement engagé, créé par des personnes politiquement engagées. Il ne suit pas l’orientation des films américains de propagande de ces années-là. Il milite pour que les responsables politiques alliés prennent leurs responsabilités face aux peuples. En s’attachant à la psychologie du bourreau, le film dépeint les idéaux criminels du national socialisme qui doivent être condamnés par la justice des toutes nouvelles Nations Unies. Avant le massacre, le rabbin se lance dans un vibrant plaidoyer pour le respect de son peuple et pour que justice lui soit rendue, son plaidoyer rejoint celui du Président du Tribunal qui à la fin du film s’adresse directement au spectateur en disant : « C’est à vous membres des Nations Unies de rendre la justice… »La dernière image montre les drapeaux des USA, Angleterre, URSS, Norvège… Illustrant les prémices des Nations Unies en 1944. « None Shall Escape » – « Nul n’échappera » est un avertissement lancé non pas aux victimes de l’Holocaust, mais à leurs bourreaux, le film dit clairement : « Nul n’échappera à la justice. Les Nations Unies les jugeront ! » C’est ce que fait le TMI de Nuremberg de 1945 à 1949. Les souhaits du visionnaire « None Shall Escape » sont exhaussés.

« Jugement à Nuremberg »

En 1961 sort un film d’une puissance intellectuelle rare :

« Jugement à Nuremberg » ( Stanley Kramer )

qui rend hommage au travail effectué par les Nations Unies et ouvre magnifiquement une réflexion toujours d’actualité sur la place de la Justice Pénale Internationale. Quel droit ont les Nations Unies d’imposer une justice internationale à une justice locale et quel est le droit des juges internationaux à juger d’autres juges ? « Jugement à Nuremberg » se base sur ce qu’on a appelé « le procès des Juges » ( The United States of America vs. Josef Altstötter, et al. – Nuremberg – Mars à Décembre 1947 ). Les juges du 3ème Reich ont appliqué les lois de purifications raciales qui ont conduit aux stérilisations forcées, aux peines capitales et aux génocides.

Deux thèses s’affrontent entre l’accusation et la défense.

Pour le procureur ( Richard Widmark ) : « Ces hommes instruits et intelligents ont épousé les thèses du 3ème Reich à l’âge mûr, ils avaient donc les moyens de les refuser, mais ils ont envoyé des milliers de personnes à la mort en leur déniant toute justice ! »Pour l’avocat allemand ( Maximilian Schell ) qui cite plusieurs juristes américains : « Les juges ne font pas les lois, ils les appliquent. Ne pas appliquer les lois de son pays revient à en devenir le traitre ! »

Pendant qu’accusation et défense croisent le fer, le juge Haywood ( Spencer Tracy ) s’intéresse à la personnalité du principal accusé, Ernst Janning ( Burt Lancaster ) éminent juriste et ministre de la Justice d’Hitler, lit toutes ses parutions, vit à Nuremberg, rencontre la femme dont il habite la maison réquisitionnée ( Marlene Dietrich ) veuve d’un général jugé et condamné à mort. Il s’enfonce dans la complexité du peuple allemand et des rapports que chacun entretenait avec le nazisme. Dans la précision du scénario très documenté et la méticulosité de la mise en scène « Jugement à Nuremberg » installe toute la difficulté de juger des personnes appartenant à un pays, une administration, une culture étrangères de celle des juges. Le film met également en relief des difficultés techniques telle que la protection des témoins et leurs fragilités dans un procès mené par des étrangers. Pendant les débats, la géopolitique s’invite à la barre. La puissance des Soviétiques inquiète l’Amérique.

La guerre froide a commencé.

Un sénateur américain vient expliquer au juge Haywood l’importance de l’Allemagne dans la lutte qu’ils vont devoir mener contre le communisme. Le lendemain, Ernst Janning explique la pression politique qui pesait sur lui lors d’un procès où il a injustement et en toute conscience condamné un juif à la peine capitale. Les deux juges se retrouvent dans la même situation par un jeu de miroir de l’Histoire.

Où sont donc les responsabilités lorsque les puissants laissent une dictature s’établir en toute connaissance de cause et qui plus est en en profitant ? Qui peut s’arroger le droit de juger des criminels alors qu’il a vu le crime se préparer et qu’il n’a rien fait pour l’arrêter ? Où commence la responsabilité collective et où s’arrête la responsabilité individuelle ?… sont les questions que pose le film et qui restent encore centrales dans les débats des procès pénaux internationaux. Le film y répond courageusement. Au delà des idéaux et des nations, il y a le droit des gens, les droits humains et aucune logique politique ou économique criminelle ne peut prévaloir au droit. Voilà ce que dit le film à travers les liens intimes de chaque protagoniste avec le droit qui est sans conteste la star du film. « Lorsque l’ennemi est à nos portes, on se croit permis d’utiliser les mêmes méthodes que lui pour assurer sa survie en fermant les yeux ( sur les atrocités commises par son propre camp )… Mais un pays n’est pas le prolongement de soi ! » Les paroles du Juge Haywood gardent toutes leurs forces depuis cinquante cinq ans.

Les deux films se répondent parfaitement à une quinzaine d’années d’intervalles. « None Shall Escape » appelle la justice de ses vœux, « Jugement à Nuremberg »définit ce qu’est l’esprit du droit pénal international en le ramenant de façon finalement très simple à ce que doit être une justice humaine. Entre les deux films, les bases de la justice pénale internationale ont été construites par la première expérience du Tribunal de Nuremberg.

Ces deux films resteront relativement isolés dans la fiction de cinéma. Le procès de Nuremberg inspirera d’autres œuvres ( Nuremberg, mini série, 2000 – Nuremberg : Goering’s Last Stand, 2006 ) mais bien plus tard et dans un esprit de reconstitution historique. Le cinéma reflète aussi dans ce sens, le parcours du droit pénal qui reste pendant cinquante ans bloqué par le mur de Berlin.

L’Évolution d’un dangereux personnage

Un des legs les plus profitables que la seconde guerre mondiale fait au cinéma est le criminel de guerre. Méchant idéal, d’emblée coupable pour le public, aussi polymorphe qu’un espion de la guerre froide, blanc et bien éduqué, il entre dans la composition dramatique de nombreux films et est un marqueur intéressant de l’évolution de la justice pénale international dans la fiction de cinéma. Nous avons retenu trois films pour en parler.

« The Stranger »

« The Stranger » ( Le Criminel – Orson Welles, 1946 ) ouvre la traque.

L’inspecteur Wilson ( Edward G. Robinson ) débarque dans une paisible bourgade de la Nouvelle-Angleterre à la recherche de Franz Kindler, ancien nazi, concepteur et artisan de la solution finale qui vit sous la fausse identité de Charles Rankin ( Orson Welles ) comme professeur de collège. Marié avec la fille du juge ( Loretta Young ), apprécié de la communauté, rien ne transparait de son passé et il faudra un enchaînement d’erreurs et de pièges tendus par l’inspecteur pour le confondre.

Le scénario n’a pas besoin d’un auteur de crimes contre l’humanité pour fonctionner. Charles Rankin aurait très bien pu être suspecté de crimes de droit commun comme Oncle Charlie dans « l’Ombre d’un doute » ( Alfred Hitchcock, 1943 ). Les deux films utilisent le même moteur dramatique : l’intimité affective entre le criminel et une jeune femme aveuglée par ses sentiments. De ce lien nait tout le danger et le suspens.

Pourquoi donc un criminel de guerre nazi ? Certainement pour l’aura maléfique qu’il diffuse à cette époque. L’horreur du nazisme commence à être connue, le profil de l’intellectuel perverti nazi est établi, beaucoup de criminels nazis dont Eichmann sont dans la nature, Orson Welles se saisit donc de cette opportunité pour créer un personnage à sa démesure. Car le film d’une très grande qualité esthétique repose surtout sur la tension du jeu de l’acteur réalisateur. L’envergure de ses crimes porte le personnage et marque son époque.

« The Statement »

« The Statement » ( Crime contre l’humanité – Norman Jewison, 2004 )

… nous propose la traque d’un criminel de guerre avec la mise en opposition d’institutions nationales et internationales.

Pierre Brossard ( Michael Caine ), milicien responsable de l’exécution sommaire de sept juifs est poursuivi par une juge française ( Tilda Swinton ) pour crime de guerre. Un colonel de gendarmerie ( Jeremy Northam ) mène l’enquête à ses côtés. Pierre Brossard se cache depuis sa condamnation par contumace dans des monastères du Sud de la France. Le film confronte la réalité d’une enquête, le travail d’une juge avec des réseaux, des appareils d’états et des institutions. La culpabilité de Brossard ne fait aucun doute. Le suspens du film réside donc dans son arrestation. Il échappe à un assassinat dès le début du film. La juge doit donc le capturer avant qu’il ne soit tué. Le vatican le lâche en premier, puis c’est l’Église française qui après l’avoir soutenu semble soudain prendre conscience des pêchés de son agneau égaré. Le réseau d’extrême droite dont il est membre, finit par faire de même. Brossard est à la merci de ses poursuivants. Mais ce qui pose problème aux politiques ce sont les révélations qu’il peut faire à son procès, sous entendu le passé d’extrême droite de F. Mitterrant, un thème à la mode dans les années 90.

C’est finalement un réseau juif constitué pour venger les crimes faits aux leurs qui assassine Brossard quelques minutes avant son arrestation. L’exécuteur est un commissaire de police en fonction. Ce film qui fait ressortir tout l’exotisme de la France pour les Américains, met en lumière la difficulté de la justice pénale ( pas encore internationale dans le film ) en matière de crime de guerre. L’argument clef est le risque de déstabilisation de l’état par un procès dans lequel seraient dites des choses que l’on veut taire. L’intrication des réseaux y est pour quelque chose et un procès pour crime de guerre risque de faire apparaître des amitiés coupables. Si l’on voit clairement l’Église abandonner sa protection pour que le criminel aille à la justice, le politique est plus réticent. Ici aussi, comme dans bon nombre de films alliant crimes contre l’humanité et Justice, des liens familiaux viennent renforcer la tension dramatique. La juge a pour oncle un ministre en exercice qui lui conseille d’arrêter son enquête. C’est finalement le politique qui aura raison de la justice en laissant agir un réseau connu des initiés, liés au renseignement et à la police. De la milice à la police, les victimes comme leur bourreau n’auront rencontré aucun juge.

 

« The Ghost Writer »

Plus proche d’aujourd’hui et plus international,

« The Ghost Writer » ( Roman Polanski, 2010 )

… reprend des ingrédients proches, mais entre les deux films, le droit pénal international a progressé.

La Cour Pénale Internationale ( CPI ) est née.

Engagé comme nègre ( Ghost Writer en Anglais ) pour écrire les mémoires de l’ex premier ministre britannique Adam Lang ( Pierce Brosnan ) qui séjourne sur l’île de Martha’s Vineyard, sur la côte Est des USA. L’écrivain nègre ( Ewan McGregor ) vient prendre ses fonctions lorsqu’un ancien ministre du cabinet de Lang accuse l’ex premier ministre de crimes de guerre liés à l’engagement de l’armée britannique en Irak. La procureure de la CPI ouvre une enquête officielle pour crime de guerre et crime contre l’humanité à l’encontre d’Adam Lang. De plus, un doute plane sur la mort par noyade de l’écrivain précédent qui avait pratiquement fini son travail. La maison isolée prend des airs de camp retranché. La pression médiatique est aussi forte que celles de la maison d’édition qui pousse le « Ghost » à finir au plus vite pour profiter du scandale et sortir les mémoires.

La menace est sérieuse. Pour la CPI, est considéré comme criminel de guerre quiconque facilite la perpétration, encourage ou apporte son concours à ce crime ( cité dans le film ). L’avocat de Lang lui conseille de rester dans un des pays qui ne reconnait pas la juridiction de la CPI : l’Irak, la Chine, la Corée du Nord, l’Indonésie, Israel ( cité dans le film ). Le « Ghost » enquête. Bien placé pour fouiller la vie de l’homme politique, il découvre une connexion entre le premier ministre et une multinationale qui œuvre dans l’armement. Puis entre le professeur d’une université américaine recruteur d’agents pour les réseaux de la CIA et la femme du premier ministre qu’il a connu dans cette université. La bronca populaire enfle. Lors d’une manifestation, le premier ministre est tué par le père d’un soldat mort en Irak.

La vengeance est exécutée ici par une victime collatérale du crime supposément commis. Sans qu’on sache s’il y a eu manipulation de l’assassin, il prive les uns et les autres de justice. La justice pénale internationale donne ici toute la substance à ce thriller qui ne pourrait exister sans elle. Entre film politique et film d’espionnage, « The Ghost Writer » n’existe que par la CPI.

De la fiction à la réalité

Ce qui frappe dans ces trois films, c’est que le criminel recherché et traqué par la police, par des réseaux secrets ou par les médias ne passe pas devant un juge. Il subit la peine capitale sans procès. Certes, la présomption d’innocence n’existe guère dans la fiction de cinéma qui préfère l’action à la réflexion. La vengeance est le principal moteur de ces assassinats, mais elle sert à chaque fois, en second plan, le monde politique qui évite ainsi la publicité d’un procès. L’assassinat par vengeance d’un criminel de guerre le soustrait à la justice pour le plus grand confort des politiques, c’est en filigrane la morale de ces histoires dont le méchant est le héros.

Mais les faits réels qui ont inspiré ces histoires n’ont pas eu les mêmes fins ou les mêmes suites. « The Ghost Writer » était en 2010 prophétique pour présumer d’une démarche que le rapport Chilcot ( Juillet 2016 ) concrétise. Ce rapport accuse Tony Blair d’un engagement prématuré et non justifié de la Grande-Bretagne dans la guerre contre l’Irak qui au-delà du crime d’agression qu’il constitue, a engendré des exactions dont T. Blair peut-être tenu responsable devant la CPI. C’est l’avis public de Benjamin Ferencz, père fondateur de la CPI et ancien procureur du procès de Nuremberg.

Notons au passage que la présomption d’innocence ou l’implication réelle d’Adam Lang ne sont jamais évoquées dans le film. Cette accusation est vécue par l’ex premier ministre et son entourage comme un sale coup politique qui déchaine les médias.

« The Statement »s’inspire des affaires Papon, Touvier et Bousquet. Bousquet a été assassiné avant son jugement et était bien un ami de F. Mitterrand. Son assassinat a plus servi sa mémoire que celle de ses victimes et rendu un meilleur service à ses amis qu’à ses ennemis, conformément au film. Mais Papon qui a été un enjeu politique pendant l’élection de F. Mitterrand a été jugé et condamné et Touvier à qui le film emprunte le crime, la cavale et les protections de l’Église, a également été jugé et condamné, contrairement au film.

Si Franz Kindler échappe à la justice dans le « Criminel » d’Orson Welles, Adolf Eichman n’y a pas échappé, ni dans la vie, ni au cinéma. Le criminel fugitif est traqué et passe devant un tribunal israélien pour répondre de ses crimes à l’écran, sous forme de reconstitutions historiques dans plusieurs films dont « Operation Eichmann » ( R.G. Springsteen, 1961 ) film sur sa traque et sa capture ; « Eichmann » ( Robert Young, 2007 ) basé sur les retranscriptions de ses interrogatoires ; « The Eichman Show » ( Paul Andrew Williams, 2015 ) reprend les archives filmées du procès en retraçant le travail des deux réalisateurs qui ont réalisé en direct le procès à la télévision, ce qui fut une première mondiale. D’autres films, téléfilms et mini-séries lui sont consacrés et d’autres sont en préparation. L’envergure médiatique de son procès ( 1961 ) et les controverses qu’il a suscitées y compris chez des intellectuels juifs, en a fait l’incontestable icône du criminel de guerre nazi de l’après Nuremberg.

Une femme criminelle et quelques femmes face au crime

Les femmes, discrètes dans ce domaine du cinéma, y tiennent toutefois une place particulière. Dans « The Reader » ( Stephen Daldry, 2008 ) quatre anciennes gardiennes d’Auschwitz comparaissent devant un tribunal allemand. L’une d’elles, Hanna Schmitz ( Kate Winslet ) est une des auteurs de crime contre l’humanité à être apparue au cinéma. Dans une petite ville allemande à la fin des années 50, un adolescent a une relation avec une femme de vingt ans son ainée. Devenu étudiant en droit il la retrouve sur le banc des accusées et comprend qu’elle aimait qu’il lui fasse la lecture car elle est illettrée. Elle est condamnée et il sera son seul soutien pendant sa vie de prison. Le film ne donne aucune réponse à travers l’équilibre précaire qu’il entretient entre le rapport amoureux et le passé odieux du personnage. Ce qu’il nous montre certainement le plus, c’est la difficulté de brosser le portrait d’une auteure de crime contre l’humanité sans l’atténuer par des sentiments. L’auteure de crimes contre l’humanité est trop peu représentée pour que l’on puisse en tirer d’autres conclusions.

Dans « Music Box » ( Costa Gavras, 1989 ) Ann Talbot ( Jessica Lange ) avocate, défend son père ( Armin Mueller-Stahl ) devant un tribunal américain qui l’accuse d’avoir caché son passé d’ancien nazi lors de son immigration aux USA. Convaincue de son innocence, elle parvient à le faire acquitter mais découvre qu’il a menti. Ici comme dans plusieurs films, les scénaristes tissent des liens intimes entre les criminels et un témoin privilégiés de leur vie et de leur personnalité.

Les femmes prennent plus de risque que les hommes en poursuivant des criminels masculins. Sophia Loren « Judith » ( Daniel Mann – 1966 ), juive allemande envoyée dans un camp de concentration par son mari « aryen » est appelée en Palestine pour identifier cet homme devenu instructeur militaire pour les Palestiniens. En acceptant cette mission qui tient plus de l’espionnage que de la traque de criminelle de guerre, elle espère retrouver son fils qui lui a été enlevé lors de sa déportation.

Kathryn Bolkovac, policière américaine détachée auprès de l’ONU en Bosnie à travers une société privée de sécurité, met à jour un trafic de prostituées organisé par et pour des membres de la société qui l’emploie et par et pour des hommes des services de l’ONU. Rachel Weisz interprétera son rôle dans « Wistlerblower »( Larysa Kondracki, 2010 ). Femme policière, Kathryn lutte contre un milieu masculin, deux organisations sous autorité masculine qui couvrent un crime fait à des femmes pour le seul bénéficie masculin : la prostitution. Après quelques pressions, son enquête est classée par l’ONU, elle est licenciée et ne peut que livrer le fruit de son travail et de son courage à la presse pour ouvrir un procès en Angleterre. Elle devient donc lanceuse d’alerte ( Wistlerblower ). Le crime apparaît ici abyssal car perpétré par des personnes censées protéger les victimes. Dans l’affaire réelle, les criminels protégés par l’immunité diplomatique ne seront jamais inquiétés.

Un criminel au visage monolithique

Plusieurs remarques viennent à l’esprit au visionnage des films. Quel que soit leur rôle, les femmes apparaissent comme victimes. Kathryn Bolkovac est victime du milieu masculin dans lequel elle enquête. Judith est l’instrument des services de renseignements. L’avocate de « Music Box » défend son père de bonne foi avant de s’apercevoir qu’elle a été l’instrument de son mensonge. Et pour finir, l’illettrisme de la gardienne d’Auschwitz atténue sa culpabilité et sa féminité l’humanise, rejetant ainsi dans un souvenir opaque la question du libre arbitre face au choix.

Nous notons que le criminel de guerre ou l’auteur de crimes contre l’humanité est au cinéma essentiellement un homme, caucasien, le plus souvent européen.

L’arrivée dans le cinéma de criminels africains ou asiatiques relevant de la justice pénale internationale est très récente et reste rare. Il faut certainement y voir le besoin de faire figurer des comédiens connus dans les rôles principaux. Les comédiens blancs sont surreprésentés dans le cinéma international essentiellement américain, les comédiens noirs le sont beaucoup moins et les asiatiques totalement absents. Les femmes, sous représentées dans les premiers rôles suivent ce même schéma avec de surcroit le fait que le portrait d’une femme criminelle est plus difficile à supporter pour le public. On peut aussi y voir un besoin de consensus propre au cinéma occidental qui ne peut s’autoriser de stigmatiser Africains ou Asiatiques sous peine d’impopularité. La guerre dans les Balkans fournira fort à propos un renouvellement de criminels caucasiens. Mais contrairement à ce que fait apparaître le cinéma, la réalité de la surreprésentation des criminels africains devant la CPI entraine un mouvement de l’Union Africaine contre l’institution qui peut faire craindre un retrait massif des pays d’Afrique de la CPI.

« Beasts of no nation » ( Cary Fukunaga – 2015 ) est un des rares films à dresser le portrait d’un criminel de guerre africain. Chef de guerre enrôlant de force des enfants soldats, ses capitaines le quittent sentant la chute proche de peur d’être capturés et jugés. Ils savent qu’ils ont commis des crimes condamnables par la JPI.

« Hôtel Rwanda » ( Terry George – 2004 ) retrace l’histoire vraie de Paul Rusesabagina ( Don Cheadle ), hutu, gérant de l’hôtel Les Mille Collines à Kigali qui sauva 1268 Rwandais tutsis et hutus modérés dont sa propre famille pendant le génocide de 1994. Le héros, notable de Kigali, avertit le commandant Bizimungu ( Fana Mokoena ) que lorsque tout sera fini, il sera jugé pour crime contre l’humanité en tant que chef des armées. Cet ultime argument désespéré intervient dans une scène tardive pour sauver les siens et ceux qu’il a recueillis après qu’il lui ait donné les semaines précédentes tout ce qu’il avait : argent, bijoux et alcool… Et ceci, malgré la proximité reconnue des casques bleus impuissants durant le génocide.

Les criminels asiatiques sont plus utilisés dans des films d’action grand public comme incident déclencheur de l’histoire et donc restent cantonnés dans des seconds rôles non développés.

L’Adaptation des films de genre

( ou la difficulté de continuer à représenter le massacre )

Le film d’action

Dans « Largo Winch II » ( Jérôme Salle – 2011 ) Sharon Stone, procureure de la CPI, vient arrêter Largo Winch ( Tomer Sisley ) suspecté d’une responsabilité dans le massacre du peuple Karen par un général birman. Il va devoir se battre pour prouver son innocence. Le droit est bien sûr très en arrière plan dans ce film de divertissement qui souhaite atteindre un large public. Mais son utilisation fait toutefois apparaitre que la CPI est en 2011 suffisamment connue du grand public, pour intervenir d’une façon aussi abrupte que la police ou la douane.

« John Rambo » ( Sylvester Stallone – 2008 ) – quatrième film d’une série commencée en 1982 – devenu chasseur de serpents à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie, emmène une mission humanitaire auprès du peuple Karen. Après leur capture, il accepte de prendre la tête d’un commando pour les libérer. Rambo, bête de guerre dont la seconde nature est de tuer, vétéran traumatisé du Viet Nam est passé de la folie à une forme d’apaisement en 25 ans de carrière à travers plusieurs déchainements de violence qui le placent sans aucun doute plus sur le banc des accusés que des témoins. Mais au-delà de ça, il a évolué en passant de la vengeance à l’entraide. C’est un fait suffisamment rare pour être évoqué ici. Dans les longues sagas du cinéma américain comme « Star Wars », « Bourne » ou « Pirate des Caraïbes », le héros n’évolue pas. Rambo, lui, a dû le faire pour continuer à satisfaire le goût du public des films d’action.

Les « Expendables » série de trois films d’action créée par Sylvester Stallone ( 2010 à 2014 ) est un groupe d’anciens militaires d’élite qui ne connaissent que la guerre et la loyauté envers leurs frères d’armes. Ce sont tous des « Rambos » à cela près qu’ils ne sont ni soldats d’un pays, ni mercenaires, ni employés d’une société de sécurité ou d’une agence de renseignement. Ils sont à leur compte. Dans le troisième volet, le groupe est engagé pour aller chercher un criminel de guerre en « Asmanistan » pour le livrer au tribunal à La Haye. La CPI apparaît comme seul élément concret dans cet univers de cinéma qui pour ne froisser personne, ne se permet plus de désigner un pays coupable. Évolution récente. Le méchant est d’ailleurs un ancien des leurs, dévoyé. Le film d’action ( également appelé « film de barbouzes » dans ce genre précis ) fait preuve d’acrobatie diplomatique pour subsister auprès d’un large public international. On ne montre plus de mercenaires internationaux tuer joyeusement les autochtones de Centrafrique pour le spectacle comme dans les années 60 et 70.

Les films d’actions et de guerre dans lesquels les tueries sont des passages obligés se heurtent au droit comme le western s’est jadis heurté à la sensibilité des Américains avec les tueries d’Indiens.

Lorsque les criminels nazis ont remplacé les Indiens des plaines dans les tueries, le film de guerre a remplacé le western. Et le film de guerre, pour garder des scènes de tueries spectaculaires, a dû se plier à la règle de la légitimité. Ce qui n’est pas toujours le cas des meurtres entre malfrats. Les films de gangsters n’ont pas suivi la même évolution. Entre hors-la-loi les tueries peuvent continuer. Et plus les domaines dans lesquels ils exercent sont condamnés par le public ( trafic de drogue, trafic humains ), plus les tueries restent possibles et exubérantes.

Un nouveau visage du film de guerre

Un personnage très différent du commando mais tout aussi baroudeur, s’est élevé du rôle de figurant à celui de héros dans une période relativement courte : le photo journaliste, aussi nommé reporter d’images. Il témoigne de l’importance qu’a pris l’image dans nos sociétés mais il témoigne également de la volonté d’amener le regard du spectateur au milieu de l’horreur par un angle acceptable via un personnage irréprochable. Le photo journaliste ne prend jamais parti, même s’il se révolte, il est là pour témoigner du mal et montrer au monde l’injustice faite aux victimes. Chaque conflit a ses photos, icônes et symboles d’une époque et d’une prise de conscience.

Le rôle du photo journaliste est donc reconnu depuis longtemps. Il reste pourtant très discret dans les films de guerre jusque dans les années 80. Troisième rôle dans « Apocalypse Now » ( Francis Coppola, 1979 ) où il est le médiateur fou entre l’horreur et la raison. Second rôle dans « Das Boot » ( Le Bateau – Wolfgang Petersen, 1981 ), il est la propagande hitlérienne dont se fiche l’équipage et provoque le contrepoint nécessaire pour créer l’empathie du spectateur à l’égard des mariniers allemands. Dans « Salvador » ( Oliver Stone, 1986 ) il est déjà le héros presque romantique qui photographie des montagnes de morts. Parti à la recherche d’un scoop, il reste pour témoigner des atrocités. Impuissant à sauver sa compagne et ses amis salvadoriens, il n’a plus que la photo pour exister au milieu de l’horreur. Le film reflète le comportement de sidération du héros et non le combattant armé d’un appareil photo. Le film est autobiographique de l’expérience du co-scénariste et le réalisateur est vétéran du Viet Nam où il a expérimenté ses talents de photographes.

Le personnage du photographe est presque héros dans « Harrisson’s Flowers » ( Elie Chouraqui, 2000 ), le film se passe dans le milieu du photo journalisme et la femme qui cherche son mari photographe disparu est accompagnée par ses collègues de guerre qui la guident dans le chaos de la bataille de Vukovar – guerre de Croatie ( 1991 ).

Dans « Balibo » ( Robert Connolly – 2009 ) le photo journaliste est le héros du film et périt avec ceux qu’il était venu filmer. Le film raconte l’assassinat de cinq journalistes australiens pendant l’invasion du Timor oriental qui marque le début d’un massacre qui dura 27 ans et fit disparaitre le quart de la population. Les héros martyrs de « Balibo » venus rendre compte des atrocités, réussissent dans la fiction ce que la réalité ne leur a pas permis de faire. Ils nous transmettent le témoignage des massacres perpétrés par l’armée sur des villageois désarmés. Nous sommes dans un film de guerre dont les héros ne sont armés que de caméras et de micros. La femme d’Harrisson ( Harrisson’s Flowers ) pénètre dans Vukovar assiégée pour chercher son mari dans l’hôpital bombardé. Le regard du spectateur est guidée par celui des photos journalistes qui conduisent la femme d’Harrisson, rien ne lui est épargné, ni les cadavres d’enfants violés, ni les assassinats de personnes âgées.

Le photo journaliste est certainement aujourd’hui le seul personnage crédible à pouvoir emmener le spectateur au milieu de l’horreur parce qu’il est indépendant. Ce qui le rend indépendant, ce n’est pas de travailler pour les médias, mais de risquer sa vie pour témoigner publiquement de crimes contre l’humanité.

Ce personnage était certainement le seul autorisé à nous emmener dans l’abomination de Vukovar. Il a remplacé au moins pour un temps dans le cœur du public, le soldat défenseur de la liberté. Il répond en ça au juge Haywood ( Jugement à Nuremberg ) : « Lorsque l’ennemi est à nos portes, on se croit permis d’utiliser les mêmes méthodes que lui pour assurer sa survie en fermant les yeux… » Aucun idéal ne permet les massacres et les exactions. Les idéaux même les plus nobles n’ont aucun droit supplémentaire au cinéma.

Conclusions

À n’en pas douter, l’esprit du droit pénal international a fait son chemin dans les fictions de cinéma depuis « None Shall Escape ». En y regardant de plus près, on pourrait presque constater dans l’histoire du cinéma ce que Benjamin Ferencz a appelé » la lente évolution de la conscience de l’humanité ”. Aujourd’hui le génocide est interdit pratiquement partout et au cinéma, il est devenu impossible de tuer des civils sous peine de perdre son public. Tout massacre doit être légitimé et est proposé comme coupable au spectateur qui n’accepterait pas le contraire.

Le cinéma doit naviguer prudemment entre deux écueils.

Le premier est de ne pas heurter la conscience acquise par les spectateurs de la dangerosité de scènes de haine gratuite. Un tel revirement du public aurait jadis mis au chômage un grand nombre de cascadeurs jouant les Indiens des plaines dans les westerns et pose le problème pour les scénaristes de ne provoquer la haine envers quiconque à travers des scènes de violence.

Le deuxième écueil vient de la course perdue à l’information par le cinéma.

Le cinéma a successivement été battu par la radio, la télévision et internet dans cette course et a perdu la primeur de la dénonciation par l’image. Ce qui est un des facteurs de la disparition du cinéma engagé qui ne trouve sa place que dans des rares cas comme « Wistlerblower » où des criminels reconnus ont échappé à la sentence. Dans ce cas rare, il vient suppléer à un défaut de justice et dans une certaine mesure également à un défaut d’information, pour la reconnaissance du crime et celle du sort des victimes.

L’information que donne le cinéma est déjà connue du public lorsque le film sort, et le marketing du film vise le public sensible à cette information. Le cinéma utilise donc des dénonciations connues et plus elles sont connues, mieux il les exploite. Mais la dénonciation de scandales est aujourd’hui un mode de communication transmédia banal, utilisé pour tout et par tous. Chacun se sent lanceur d’alerte et dénonce chaque jour un scandale sur son smartphone via les réseaux sociaux.

La dénonciation de scandales ne semble donc pas être un mode de communication approprié pour le cinéma en matière de crime contre l’humanité et de justice, car le cinéma reste un phare médiatique en dépit de l’effritement constant de sa fréquentation. Les images qu’il produit, même lorsqu’elles sont peu vues en salle deviennent des références et sont reprises comme exemples et illustrations par les autres médias. Elles ont indéniablement une longévité supérieure aux autres médias. Pour le cinéma, dénoncer à outrance est aussi une façon de banaliser l’inacceptable. Surtout lorsqu’il s’agit de crimes jugés par une cour et par l’histoire. La dénonciation de crimes est devenue tellement consensuelle que le cinéma fige le débat plus qu’il ne le lance, en dénonçant, il vitrifie les faits qu’il aurait voulu dénoncer et perd son engagement. De part sa position le cinéma est fait pour ouvrir les yeux et les consciences. Un des génies du cinéma indique le cap sur ce territoire de la prédiction, aujourd’hui délaissé.

« Le Dictateur » ( Charlie Chaplin, 1940 ) est le grand ancêtre de cette lignée de films. C’est un film engagé. Il a été conçu et réalisé avant l’entrée en guerre des USA alors que les USA commerçaient encore avec l’Allemagne nazie. Chaplin a donc subi des pressions pour arrêter son film ( qui sera d’ailleurs son plus grand succès ). Il n’a pu le finir que par l’indépendance complète de sa production et parce qu’il était à l’apogée de son succès commercial. C’est aussi son premier film dialogué. Le film reste une comédie jusqu’au discours de fin où Chaplin livre ses opinions. Un plaidoyer pour la paix qui garde jusqu’à aujourd’hui intacte sa force et son actualité. À travers des scènes de comédie, il reprend dans son film tous les dangers du régime d’Hitler, de son antisémitisme, de sa politique infantilisante à son mépris pour le monde. Prophétique, Chaplin ne dénonce pas, il prévient. C’est certainement dans ce rôle que le cinéma reste fidèle à son art.

 

* Dictionnaire encyclopedique de la justice pénale internationale
Berger Levrault 2017
Ref. 571BEL300 ISBN : 978-2-85130-248-9
http://boutique.berger-levrault.fr/ouvrages/justice/hors-collection/dictionnaire-encyclopedique-de-la-justice-penale-internationale.html

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