Date de parution : 18 janvier 2019 chez Carnets Nord, romans.

«  Il ne devait y avoir aucun témoin de leur séparation. »
Dans une grande bâtisse isolée du Vercors, un couple prépare sa séparation. Artistes peintres, plasticiens, photographes, leur relation a été productive avant de devenir destructrice. Mais ils s’aiment toujours autant. Adeptes des œuvres à point de vue unique, le couple fait de ses derniers moments de vie commune une performance. Une œuvre macabre dont ils doivent être les seuls spectateurs.
Mais un témoin s’est invité au spectacle sans les prévenir et l’interprétation qu’il en fait met en péril leur pacte, leur séparation, leur intimité.

(suite 4ème de couverture)        L’histoire est quant à elle très étrange, hallucinée, punk, sombre, comme l’écriture est pulsée, vive et rapide. L’auteur sait maintenir le lecteur en haleine, dans ce thriller noir et original dans lequel il a su créer un climat de nature et d’angoisse allant crescendo. L’enquête prend plusieurs directions, les fils s’emmêlent mais tout se tient, ils se délient d’eux-mêmes peu à peu. Les étrangetés font du livre sa singularité. Un vrai roman noir.

Pour mon second roman,

…  j’ai eu besoin de m’engager dans un travail plus littéraire. Mon premier roman, « Tant pis pour le Sud » a été le passage du scénario au roman, puisque je l’ai écrit à partir d’un scénario existant. Les dialogues des principales scènes étaient rédigés et tout le déroulement de l’histoire existait en détail.
Pour « Rires de Poupées Chiffon », je suis parti d’une histoire que je connaissais déjà parfaitement mais que je n’avais jamais travaillée sous forme de scénario. Le travail d’écriture n’était donc plus une adaptation, un travail d’extension de l’écriture scénaristique au roman, mais bien un travail romanesque dès la conception de la narration à travers la mise en chapitres et en paragraphes de l’histoire.
C’est donc une première expérience totalement littéraire que j’ai décidé de mener dans le domaine du Noir. Car le roman noir est à mon sens le genre le plus littéraire du polar.

Extrait du Chapitre 2

Louis avançait prudemment, regardant de droite et de gauche par peur que sa curiosité soit surprise par un témoin. Les coups venaient bien de là. Certainement du rez-de-chaussée. Derrière la maison, le lit du ruisseau encombré de pierres et de branches amenait l’eau à s’étaler jusque dans la cour, sur le devant.
Les coups se déchainaient, la cadence augmentait tout en faisant entendre des impacts plus légers et des gémissements hachés.
L’épuisement pensa Louis Dames.
Louis se dirigea finalement d’un pas résolu vers la maison ouverte pour faire connaissance lorsqu’il comprit qu’il s’agissait de hurlements de douleur. Ils lui parvinrent alors liés d’une plainte continue, comme des pleurs. Il ralentit à quelques mètres et resta sur le pas de la porte surpris par le contraste de l’intérieur.
Un entrée desservait deux pièces fermées par des portes peintes en bleu. Un escalier montait à l’étage, peint avec goût et méticulosité, les entre-marches vert d’eau et les nez de marche bleu céramique, tranchaient avec un giron sang de bœuf. Chaque face des gardes fous carrés de la rampe étaient d’une couleur vive différente. L’ombre de l’escalier était peinte en trompe l’œil sur un mur blanc, reprenant les couleurs dans des tons délavés. Les tommettes du sol, usées et cassées en de multiples endroits, étaient recouvertes d’un vernis rouge gourmand. Plus qu’un décor, l’entrée était une œuvre dans laquelle Louis ne se sentit pas le droit d’entrer. Les coups et les plaintes venaient pourtant d’une des pièces voisines.
Il resta figé un instant avant de reculer.
L’intensité des cris et des coups baissaient encore. La plainte devint les pleurs d’une personne à bout de force. C’était là, tout prêt. Il s’éloigna confus et silencieux, sa chaussure grinçante faisait ressortir sa honte d’avoir été aussi indiscret que lâche.
Quelques cris de cette rage ultime qui précède l’anéantissement se firent entendre alors qu’il sortait du périmètre de la maison.
Il accéléra le pas sous le coup d’un pressentiment. Le silence était revenu depuis plusieurs secondes lorsqu’il fut déchiré par un cri tout proche.
Louis se retourna.

Une femme sortait en titubant, les bras ballants comme cassés, tenant ses mains l’une dans l’autre. Elle s’écroula harassée, les genoux dans l’eau qui coulait du ruisseau, mit ses bras et ses mains dans une vasque de pierre posée à même le sol. Ses mains étaient rouges. Peut-être de sang. Son corps secoué de convulsions n’émit plus aucun bruit pendant quelques secondes.
Puis les pleurs revinrent. Des pleurs qui venaient du fond de son être. Des pleurs d’une sourde tristesse auxquels elle laissait maintenant libre court, se pensant seule. Louis fit demi tour, décidé à lui porter secours lorsqu’elle leva la tête et le vit.
Elle se redressa d’un coup, surprise, apeurée et courut se réfugier dans la maison avant qu’il n’ait pu faire un pas de plus.
La silhouette d’un homme apparut dans l’encadrement d’une fenêtre du bas, à droite de la porte d’entrée.

Mes principaux guides,

Je ne suis pas parti seul dans cette aventure, j’ai choisi quelques guides :
Il y a quelques années, je réalisais un sujet pour France Télévision sur François Guérif qui sortait un livre sur le Film Noir. Il nous en donna, à cette occasion, sa définition : « Dans le Film Noir, plus on avance plus on s’enfonce, comme dans une spirale ! »
J’ai fait mienne cette définition pour le roman noir.
Pourquoi ?
Parce que cette définition permet de sortir de la mécanique purement policière pour élargir la poétique (les éléments constitutifs de l’histoire) du texte. On ne peut pas créer une spirale en utilisant uniquement les outils de la narration. Il faut que l’ensemble y participe. Dans le Noir, les protagonistes nous entrainent dans leur noirceur par des traits de caractères que nous connaissons dès leur apparition.
Ce sont les événements et leurs actions qui nous entrainent dans la pénombre aidés par un conflit avec une société qui ne veut pas d’eux. Un monde, macrocosme ou microcosme, dans lequel ils ne peuvent pas vivre. C’est la rencontre de ce monde qui mène le héros à sa perte. Dans le Thriller et les histoires de gangster, on passe des portes, on franchit des frontières interdites et le danger augmente.
Dans le Noir, on s’enfonce aux côtés de héros généralement asociaux jusqu’à la mort, sous toutes ses formes, meurtre, suicide, explicite ou ambiguë. Une mort inéluctable. Dans ce sens, le Noir dépeint toujours les travers des sociétés dans lesquelles le héros évolue. Le Noir permet de sortir du contexte classique du policier pour amener le récit sur un territoire plus mouvant que celui du crime et de la psychologie.
C’est donc tout autant la figure imposée de la spirale que la friction sociale qui m’attire dans ce genre où la mise en scène et le détail comptent plus que la mécanique de la narration.
Mise à part François Guérif pour la définition, les femmes comptent par leur nombre autant que par leurs qualités pour me guider dans les sombres méandres du Noir.
Daphné du Maurier, pour Rebecca bien sûr, roman dans lequel le nœud du drame et du mystère est à l’intérieur des protagonistes et ne détruit leur vie qu’à cause des sentiments amoureux qu’ils nourrissent l’un pour l’autre. Tout est très resserré, ce qui donne énormément de temps pour nourrir les détails. Dans ce roman, le dénouement est une conséquence et non pas une résolution d’énigme. Ce qui en fait un model de roman noir.
Patricia Highsmith, pour à peu près tous ses romans, surtout pour l’amoralité, mais aussi parce que la police, la justice, l’autorité ne sont jamais loin et sont finalement les seules bornes, les seules références qui permettent de fixer en quelque sorte par contraste, l’amoralité. L’amoralité est peut-être le caractère le plus prégnant du Noir. Patricia Highsmith en a défini les limites qui flirtent toujours avec la provocation sans jamais la déclencher.
Elisabeth Georges pour son premier roman, fondateur de la série Linley, « Enquête dans le Brouillard » dans lequel l’intériorité des enquêteurs prime sur l’enquête. Ce qui en fait pour moi plus un roman noir qu’un policier. On retrouve également cette ambivalence de genre dans « le Silence des Agneaux ».
Sara Gran, « La Ville des Morts », apporte avec un ton apparemment drôle et détaché, un regard terrible sur les sinistrés de la Nouvelle Orléans laissé à leur sort après le passage de Katrina. Il y a un ton novateur, la détective est tellement farfelue que son enquête passe au second plan du récit pour mettre en évidence les rapports qui se nouent entre policiers, détective, suspects et criminels et qui sont entièrement lié à la situation catastrophique de la ville. La détective trouve donc dans son enquête la spirale qui l’entraine dans les bas fond.
Au cinéma, mes références sont nombreuses, mais c’est certainement vers le cinéma coréen de ces dernières décennies que je trouve le plus de points d’attaches. Dans les films noirs forts nombreux, les films de vengeances et plus largement dans la mise scène des réalisateurs coréens qui sont les seuls à s’autoriser autant de liberté. La liste des auteurs et des films serait longue, mais il y a bien évidement un peu de Choi Min-sik d’Ivre de Femmes et de Peintures dans Krim Lee.

Extrait du Chapitre 19

Vaincu, Krim tombait dans cette mort qu’on dit petite, mais qui ce soir-là ressemblait à la vraie. Il tombait à travers sa vie qu’il revoyait en marche arrière. Il tombait en défonçant tous les planchers de carton pâte de ses souvenirs. Il tombait sur le bitume de toutes les rues que ses pieds avaient foulées de Gwandju à New York. Il tombait au pied des immeubles de son université. Il tombait sur le carrelage de son entrée new-yorkaise. Il tombait de son immeuble parisien. Il tombait de la paillasse en paille de riz de son enfance.
Il tombait, tombait et tomba pendant une dizaine d’heures, longtemps après avoir perdu toute conscience.
Lorsqu’il eut fini de tomber, il se réveilla nu et frigorifié, les bras en croix.
Il sentit sa main prisonnière. Cette sensation accompagnée d’une brûlure lui rappela vaguement quelque chose. Il chercha avec ses pieds et ses mains de quoi se couvrir, mais ne trouva rien. Il était tellement cloué au lit qu’il se rendormit jusqu’au moment où il se dit qu’il dormait à côté de Ceril. Elle était là, au bout de son bras, endormie à sa menotte. Il se tourna vers elle.
Elle avait piqué les couvertures comme chaque matin. Il tira sur son bras qui bougea bizarrement. Elle était toute habillée.
Elle avait remis sa veste de gabardine grise et son dos était un peu mou.
Krim avait du mal à rassembler les forces de son bras engourdi par le poids de sa partenaire.
– Ceril !
Elle ne bougea pas. En tirant sur son bras, il sentit la douleur de son poignet meurtri par les menottes.
– Ceril !
Comme elle ne bougeait toujours pas, il la tira par l’épaule. Son visage bascula vers lui.
Il poussa un cri de bête.

 

 

 

Un couple

J’ai bien sûr souvent pensé au couple du « Bonheur dans le Crime » de Barbey d’Aurevilly en écrivant mon roman, le couple de la nouvelle d’Aurevilly va bien au delà du sexuel sulfureux dans lequel on le laisse par convention historique ou littéraire.
« Rires de Poupées Chiffon » parle surtout d’amour. Pas sous le jour banal et secondaire dans lequel ce sentiment apparait généralement dans le roman policier. Sauf à être crime passionnel ou jalousie. Ici, l’amour est l’élément central de l’histoire dans lequel les autres sentiments se reflètent.
J’ai choisi de parler d’amour, de l’amour authentique d’un couple d’artistes à travers sa séparation. C’est pour ça que c’est un roman Noir et non un roman d’amour.
Il s’agit d’une séparation choisie et organisée à travers une ultime performance commune. Adepte de l’œuvre à point de vue unique, le couple a mis ses derniers moments de vie commune en scène. Une œuvre macabre dont ils pensent être les seuls spectateurs. Tout se déroule parfaitement mais…
Il ne devait y avoir aucun témoin de leur séparation.
Et il y en a eu un… qui en entraine d’autres. Ces regards étrangers et inquisiteurs mettent en péril l’intégrité de leur œuvre et l’intimité de leurs souvenirs.
Le couple vivait sa folie créatrice et destructrice loin de tout regard, mais voilà que leur séparation attire l’attention et vient troubler ce qu’ils ont de plus précieux. Leur intimité. Ultime bien du couple, car c’est dans une séparation que l’intimité est finalement la plus menacée. Ce moment cristallise la mémoire du couple et plus ce moment est vécu avec passion, plus la pudeur se confronte à la lâcheté. Leurs souvenirs, leur intimité risquent d’être mis à jour. Le pacte qui scelle leur performance résistera-t-il à l’enquête de la gendarmerie ? Jusqu’où sont-ils capables d’aller pour garder l’intégrité de leur œuvre ?
Ils apparaissent tour à tour, incohérents, lâches, irrationnels, mais qu’importe, ils ont une raison que les gens raisonnables ignorent.
C’est sur cette frontière du réel et du tangible que j’ai choisi de raconter mon histoire. Une œuvre, même à point de vue unique a toujours plusieurs réalités. Ici, il y a celle créée par les artistes et celle des gendarmes. Il y a toujours l’intime et le public, le secret et le divulgué. C’est sur ce territoire très actuel que se concrétise le drame dans une spirale inéluctable.

 

Extrait du Chapitre 40

 

Fabio tendit sa main bleue que Krim se fit un plaisir d’écraser.
Fabio hurla en la retirant.
Krim s’excusa faussement car il avait déjà vu les hématomes que Fabio lui dévoilait maintenant en guise d’excuses, Krim Lee fit :
– Oh ! Un chien ?
– Oui, admit Fabio contrarié.
Ces quelques banderilles bien plantées libérèrent Krim Lee.
– Où pouvons-nous rencontrer l’artiste ?
– Je crains qu’elle ne soit trop… occupée pour recevoir quelqu’un. Y compris un de ses collectionneurs. J’en suis désolé.
– Ah. Vous auriez du papier et une enveloppe que je lui laisse un petit mot. Vous allez la voir ?
– Oui, certainement.
– Elle habite par ici…?
– Oui.
Fabio accusait un coup de fatigue, c’était un peu trop pour un matin comme celui-ci. Il avait cinq tableaux, une table de chevet et un tabouret de piano à emballer. Il appela sa comptable à la rescousse pour faire les papiers et encaisser. Elle apporta du papier à lettres et des enveloppes à Krim Lee qui s’installa dans un fauteuil empire aux accoudoirs ornés de sphinx en bronze devant un bureau du même style.
Fabio le laissa faire, quoiqu’un peu inquiet pour son mobilier. La carte de paiement de Mr Lee Bae-Mok, aka Krim Lee venait d’être débitée de 10 000 euros, il lui devait bien un siège confortable.
Krim écrivit :
« Depuis qu’ils ont perdu ton corps, ils me dévorent, me mettent en pièces.
Ils vont bientôt distribuer mes morceaux à la population pour faire oublier ta disparition. Ton frère a tout volé. Ton travail, le mien. Il a pris toutes mes œuvres. Je n’ai plus rien.
Il va être arrêté. Il est devenu fou. La gendarmerie me dit que toi aussi, tu as commis des crimes. Ils vont t’arrêter et nous devrons nous revoir.
Signale-toi ou disparais !
Sinon nous devrons nous revoir.
Notre performance est tellement parfaite.
Ton travail est remarquable, ne gâche pas tout.
Krim Lee »
Il remit l’enveloppe cachetée au nom d’Enso sur laquelle il ajouta quelques signes cabalistiques sortis de l’alphabet phonétique. Fabio chargea les toiles dans la malle du pick-up avec un masque de souffrance et lui tendit la main gauche en s’excusant de ne pas lui tendre une seconde fois la droite.
– J’espère vous revoir, dit-il en lui remettant sa carte.
– Prévenez-moi dès qu’il y a une exposition, j’ai laissé mes coordonnées.
Krim Lee s’en retourna vers chez lui, le cœur lourd et broyé. Prisonnier de ce sentiment qu’il apprenait à connaître.
Sa seule consolation était d’avoir brillamment fait face.
Les œuvres de Ceril seraient une compensation sur les murs de sa maison. Il savait déjà où les exposer pour qu’elles lui rappellent chaque jour sa jalousie.

 

18 janvier 2019 chez Carnets Nord, romans.

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