TANT PIS POUR LE SUD a reçu le prix du premier roman policier du festival de Beaune 2017, le jury était constitué de Paolo Bevilacqua, Thomas Chabrol, Sylvie Granotier et Christophe Smith, présidé par Jean-Christophe Grangé,

Vincent continuait d’être secoué, pourtant il ne courait plus. Il ne volait plus. Il ne bougeait plus. Lorsqu’il ouvrit les yeux, l’hôtesse parut soulagée.
– Nous sommes arrivés, monsieur.
Il regarda autour de lui les fauteuils vides, les couvertures, les oreillers et les écouteurs en vrac. Elle détacha sa ceinture. Il était débraillé, avait une gueule de bois digne d’un lendemain de mariage irlandais et se demandait s’il était arrivé ou encore en transit.
– Je peux avoir un verre d’eau s’il vous plaît ?
Elle lui apporta un gobelet rempli alors qu’il dépliait ses membres douloureusement engourdis de ne pas avoir bougé depuis une dizaine d’heures. Il s’épongea le visage avec la serviette humide qu’elle lui tendait. Il commença par les yeux puis essuya les commissures des lèvres : tout s’ouvrit progressivement.
– Ça va aller ? demanda-t-elle.
– Je suppose. On est à Puerto Princesa, c’est ça ?
– Oui ! Vous venez en vacances ?
– Pas vraiment.
– Dommage, vous en auriez besoin.
– Oui, merci.
Il s’essuya de nouveau le visage avant de se lever. Au bout de l’allée, il avait retrouvé une position proche de l’homo sapiens, ses neurones léthargiques se reconnectaient lentement.
Il sortit en faisant rouler sa valise. Sur la passerelle, il fut assailli par un soleil fort de ses soixante pour cent d’humidité qui lui tomba sur les épaules comme une armure brûlante. En bas des marches, il transpirait déjà mais n’eut le courage d’enlever ni sa veste ni son pull. Autour rien ne bougeait. Il était le bon dernier à traverser les cent mètres de tarmac qui séparaient l’avion de l’aérogare. Un homme en uniforme attendait à l’autre bout du désert pour lui ouvrir la porte, bien à l’abri dans l’air conditionné. C’était l’objectif à atteindre d’un pas mal assuré et chancelant. Il avait oublié cette chaleur qui coupait le souffle. Même en Afrique l’oxygène parvenait aux alvéoles. Ici, l’air saturé d’eau, chargé de vapeurs de kérosène tapissait ses poumons. Respirer demandait un effort. Il approchait. Les traits du visage de l’homme se précisaient derrière la porte. Ils étaient étonnés, voire suspicieux. Lorsqu’il pénétra à l’intérieur, Vincent se sentit comme sorti d’une douche, la sueur de son torse ruisselait entre ses fesses et ses parties. L’homme en uniforme, un policier, le dévisagea et lui montra le tapis à bagages où sa grosse valise restée seule jouait les colis suspects.
Il devait avoir une tête de drogué car la police des frontières lui demanda d’ouvrir ses bagages, processus rarissime sur une île où les touristes sont là pour claquer leur pognon en toute discrétion pour leur sport de prédilection.   (extrait du Chapitre 18)

(extrait du chapitre 44)          Le chauffeur venait de dépasser un pavillon sans remarquer la voiture garée dans le jardin. Vincent descendit une cinquantaine de mètres plus loin.
– Si tu m’attends, je te donne 10 de plus pour me ramener.
L’homme haussa les épaules comme s’il refusait l’aumône. Mais à ce tarif, Vincent était certain qu’il préfèrerait faire la sieste en l’attendant.
La prof d’anglais avait garé sa voiture sur le côté de l’allée. Le hayon du garage était ouvert. L’enfant le traversait pour entrer dans la maison par une porte au fond. La femme toujours à l’intérieur de sa voiture, téléphonait. Vincent continua de marcher naturellement, entra dans le jardin, puis dans le garage. Une fois dans l’ombre, il se tourna pour vérifier s’il avait été vu. Aucun mouvement dans la voiture, ni dans la rue. Personne aux fenêtres des maisons d’en face. Il ouvrit la porte de communication qui donnait de plain-pied sur un petit vestibule.
L’enfant montait l’escalier pour accéder au premier avec son sac de classe et un verre de lait. Vincent pénétra dans le living-room. L’intérieur était frais. Il s’arrêta, surpris d’être entré dans cet endroit sans effraction, sans cri. Volets et rideaux étaient fermés pour protéger l’intérieur de la chaleur pendant la journée. Tout était rangé, à sa place, sol carrelé en blanc, un tapis rouge au milieu d’un salon de cuir recouvert de plaids en coton blanc, un écran plat relié à une chaîne numérique, haut-parleurs à boomers chromés. Vincent se demanda ce qu’il venait chercher. Il voulait retrouver la traductrice, c’était fait. Elle était dehors et lui dedans.
Il monta à l’étage. Le garçon sage, bon élève, était déjà à ses devoirs derrière son bureau, dans son uniforme scolaire. Le lit de la chambre des parents n’était pas fait. Il y avait un père de famille dans la maison. La penderie ouverte l’attestait. Tout était normal, conforme à l’expression désespérée de celle qui le regardait la veille le visage en sang, conforme à sa jupe plissée, à son chemisier blanc boutonné jusqu’en haut, à sa frange impeccable et à son carré coupé court noué en queue de cheval retenue par une un nœud papillon de velours noir. Une conformité qui rendait sa présence dans la grange d’autant plus suspecte.
Il descendait lorsque la porte d’entrée s’ouvrit. Il se cacha dans la salle de bain. Son alcoolémie qui l’avait aidée à entrer sans hésitation venait de retomber en dessous du seuil de la normale. Il se mit à trembler comme un enfant.
Il était venu pour la trouver, mais il n’arrivait pas à ouvrir la porte pour provoquer la confrontation. Elle allait hurler et son fils aurait peur. Il aurait dû attendre derrière la voiture qu’elle finisse de téléphoner, ou dans le garage pour la coincer dans une zone franche et convenable. L’envisager comme complice amenait Vincent à un comportement plus radical.
– Tu travailles ?
– Oui Mam !
– Tu t’es changé ?
– Oui !
« Bon élève, mais menteur ! » pensa Vincent.
– Je sais que tu mens !
– Je sais que tu sais que je mens !
« Il n’était finalement pas totalement menteur ! » reprit-il.
Elle devait être dans la cuisine, faisait couler de l’eau, rangeait le frigo. Peut-être préparait-elle le dîner. Il se dit que c’était le moment de descendre pour se présenter.
– Je prends ma douche.
Elle montait déjà. Si elle entrait dans la salle de bain, ses cris allaient ameuter le voisinage. Elle arrivait sur le pallier, il la sentait derrière la porte.
– Tu m’as entendue ?
– Oui.
Elle entra dans sa chambre pour se déshabiller. Vincent passa une tête, hésita à entrer. Il imaginait les cris de la femme nue, son fils accourir. Le meilleur moment pour la faire parler, mais il ne pouvait se livrer à une telle violence. Il restait figé à quelques centimètres de la porte qu’elle avait suffisamment poussé pour lui laisser le champ libre. Il descendit et resta caché sous l’escalier, le cœur battant. Une minute plus tard, il entendit de l’eau couler.
C’était le moment de fouiller la maison. Il ouvrit les placards de la penderie, retourna vêtements, matériel de plage, carton de bricolage. Au bout du living en L, un petit bureau. Une sacoche était posée sur la chaise, avec un badge, Rosetta T. Gonzales, Physics Professor, Conception Private High School, Tagum. Elle n’était pas prof d’anglais, ni traductrice de Cebuano-Anglais. Tiroirs proprement rangés. Un chéquier neuf au nom de Rosetta T. Gonzales. Il en photographia méticuleusement le numéro, le nom et l’adresse. L’ordinateur le tentait, mais il y aurait certainement un mot de passe. Trop long. Des photos de famille dont une avec une femme qui devait être sa mère. Son téléphone reproduisit la même avec à peine un reflet en plus.
Il sortit des liasses de papiers administratifs, des copies d’élèves, des dossiers de fiches de cours. Rien. Il ne trouvait rien en rapport avec sa présence dans une grange au milieu de laquelle un dénommé Vincent Meneric était attaché à un poteau pour prendre des coups de pompes à travers la gueule. Il s’énervait. Aucun indice dans le salon non plus. Il fouilla le porte-revue à la recherche d’un improbable journal anarchiste, d’un tract activiste, altermondialiste… Rien n’indiquait que la maîtresse de maison puisse avoir une double vie, mais pourquoi se fier aux apparences ? Les gens du bout du monde qui ont accès au haut débit ont souvent des passions secrètes.
La cuisine était telle que ses occupants l’avait laissée le matin, partant sans doute en retard, ce qui expliquait qu’il l’ait vue si pressée lorsqu’elle était arrivée au lycée juste avant la sonnerie. Bols, lait, céréales séchées, verres vides de jus d’orange.
Vincent s’assit, déçu, dépité de sa gentillesse, encore un peu soûl et terriblement déshydraté. Il avait transpiré de tout son corps et son foie avait réquisitionné les dernières réserves d’eau potable pour éponger les whiskies de l’après-midi. Il avait la langue collée, essuya la pâte blanchâtre qui cimentait les commissures de ses lèvres et se mit la tête dans les mains, cherchant une étincelle d’inspiration à défaut d’un regain de lucidité. Il était là et ça ne servait à rien. Le mieux aurait été de revenir avec Charlie, mais il devait déjà être bourré et ne voudrait rien entendre.
C’était trop con, il était dans la cuisine d’un des derniers maillons de la chaîne, mais avec un coup de retard. Ce fameux coup de retard qu’il avait depuis le départ. Ce coup que son frère lui avait appris à sentir aux échecs puis dans le métier. Il frappa la table et se leva, furieux. Il ouvrit les placards à la recherche d’un verre en faisant du bruit comme s’il était chez lui. Il prit le plus grand et le remplit à la fontaine à eau du réfrigérateur américain. L’eau glacée lui rafraichit la main. Le frigo était couvert de magnets, de listes, de pense-bêtes et de photos. Un véritable arbre de Noël. Il n’acceptait pas d’être une fois de plus au bon endroit et incapable de faire avancer son enquête. Depuis une semaine, la vérité se métamorphosait à chaque fois qu’il l’effleurait. Il débarrassa la table, mit tout pêle-mêle dans l’évier, trouva quatre assiettes et mit le couvert. Ce soir, il y aurait un invité surprise qui poserait des questions embarrassantes à la maîtresse de maison.
Il s’assit pour boire. Il n’avait plus rien à craindre. Il réfléchissait, les yeux parcourant machinalement les couches de papiers et photos du réfrigérateur… L’eau lui fit un bien intense. Il finit son verre, le remplit à nouveau et s’assit avec une curieuse sensation. Ses yeux venaient de voir quelque chose de connu. Une marque, une photo, un visage, pas celui de la traductrice, un autre. Quelque chose dans le fouillis de la cuisine. Il se leva, parcourant la pièce du regard ; ses yeux se fixèrent sur le réfrigérateur. C’était là, en-dessous de la fontaine à eau où il avait rempli son verre. Une petite carte-photo décorée de cœurs et d’étoiles venait d’allumer une petite ampoule dans le chaos de sa tête.
Une porte claqua dans le living room des bruits montaient vers lui, un « hello » émis par une voix d’homme répondant à celui de la femme… Il n’entendait rien, son esprit tout entier concentré sur la petite photographie. On y voyait deux femmes se tenant par la taille et les épaules, souriant à l’objectif, Rosetta Gonzales, l’hôtesse de la maison et Mme Steed. Mme Steed, la directrice de l’établissement qui apparaissait derrière les deux femmes. Sur le toit, au fond, était inscrit en lettres rouges sur fond orangé déteint par le soleil : Children’s Hope.

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